Une tête de …

“D’où viens-tu?”

“Quelles sont tes origines?”

“Et tes parents?  Ils sont quoi?”

Je suis Française.

Mon père est né en Loire-Atlantique et ma mère en Vendée. Comme mes grands-parents avant eux, ainsi que mes arrière-grands-parents.

Pourtant, il est rare qu’on ne me pose pas ces questions, parce que je n’ai pas une “tête de française”. Et si je demande pourquoi, on me répond facilement que je suis quand même très “typée”.

Selon le Larousse, “typé” signifie que l’on présente nettement les caractères de son type. Et un “type” représente l’ensemble des caractères physiques qui distinguent les groupes humains les uns des autres.

Pourtant, j’ai le sentiment que typé correspond à un certain “type”, d’ailleurs, le Larousse donne comme exemple: Une femme brune très typée. Pour une femme rousse, j’imagine qu’il faudrait préciser. Par exemple: Une femme rousse typée irlandaise.

C’est ici que tout devient flou dans ma tête.

Quel est mon type?

On m’a déjà attribué de nombreuses origines : argentine, espagnole, italienne, marocaine, algérienne, tunisienne, égyptienne, libanaise, israélienne, iranienne, pakistanaise, chinoise, indienne…

Je suis française et pourtant j’ai l’impression que le monde entier veut que j’appartienne à d’autres cultures. Finalement, je crois que je pourrais les remercier, ils m’ont rendue curieuse. Et puis cette tête de non-française me permet de passer inaperçue dans beaucoup de pays.

Dans mon propre pays, on m’oblige à m’excuser. Je peux voir dans certains regards que l’on se pose des questions.

Il y a quelque mois, en allant acheter du pain barberi à Berlin, le vendeur de la boulangerie me demande d’où je viens. Je lui réponds que je suis française, de France. (Il faut toujours préciser pour éviter les questions insistantes et trop personnelles). Il m’affirme que non, que je suis iranienne. Il m’offre mon pain et propose de m’aider pour un futur déménagement.

Une anecdote parmi tant d’autres.

Mais, dans mon propre pays, on m’oblige à m’excuser. Je peux voir dans certains regards que l’on se pose des questions. “Pourquoi ne veut-elle pas avouer d’où elle vient?” Une personne que je venais à peine de rencontrer m’a dit un jour avec compassion : “Tu ne devrais pas avoir honte de tes origines !”

Mon visage est apparemment une preuve irréfutable. Il n’appartient pas à la France. Et pourtant.

Face à tant de certitudes, j’en viens moi-même à douter de mon appartenance réelle à ce pays. Je ne sais pas vraiment à quoi doit ressembler une “tête de français”, mais j’ai bien compris qu’elle ne ressemblait pas à la mienne.  

Je ne suis malheureusement pas étrangère à ce pays non plus et d’une certaine manière, cela me pousse à m’approprier tous les autres.

Mais suis-je la seule que ces questions dérangent?

*

Après 15 années passées en Europe, Angela vit maintenant au Liban où les gens ne lui posent plus la question. Et c’est reposant. Il est évident qu’elle est Libanaise. Mais pour elle, c’est une question agaçante car : “On te renvoie toujours au fait que tu n’es pas complètement française.”

Ounsi, qui partage son temps entre la France, la Belgique et le Moyen-Orient, est aussi fatigué d’entendre cette question parce qu’il faut sans cesse se répéter. Mais ce qui est réellement dérangeant c’est d’être catégorisé. A Bruxelles les gens veulent savoir s’il est français. Aux Emirats, à quelle communauté il appartient. En France on lui pose surtout la question à cause de sa “tête” ou quand on entend son nom.

Sarag se sent frustrée quand elle entend cette question qu’on lui pose trop souvent. “Why does it matter!” (“Pourquoi est ce que cela a de l’importance ?”). Elle vit à Beyrouth et comme elle a des yeux bleus, on pense qu’elle est européenne. Quand elle choisit de dire qu’elle est arménienne, les gens pensent pouvoir en déduire sa religion et ses opinions politiques. Ils la mettent dans “une boîte” comme elle le dit elle-même.

Elodie vient d’une région qu’elle n’aime pas vraiment. Elle se sent obligée de se justifier, d’expliquer qu’elle est différente de l’image que l’on colle aux personnes venant de cette partie de la France. Qu’elle ne veut pas être associée à ces clichés et être, elle aussi, “mise dans une case”.

Si, par malchance, nous n’arrivons pas à énoncer clairement une identité, d’autres s’en chargent grâce à des grilles culturelles bien éprouvées.

A l’inverse, Rayan qui vit à Saïda au Liban, éprouve le besoin de dire d’où elle vient et elle apprécie qu’on lui pose la question. Elle souhaite montrer qu’elle ne ressemble pas à l’image stéréotypée des Palestiniens que l’on peut voir dans les médias, qu’elle est palestinienne et fière de l’être, qu’elle travaille, qu’elle est intelligente et talentueuse, qu’elle n’est pas fanatique, qu’elle a une vie normale … Pourtant, cela l’attriste quand on lui pose la question car les gens sont surpris d’entendre qu’elle est palestinienne : elle n’a ni la “tête”, ni l’accent de sa nationalité.

Au Moyen-Orient on interroge souvent Julia sur sa peau blanche et de ses yeux clairs. Elle aime partager ses expériences, apprécie que les gens s’intéressent à son pays d’origine, l’Allemagne, et à sa culture.

Armin vit à Hanovre. En Allemagne, on lui demande rarement d’où il vient.

Wael habite à Berlin. Comme Armin, il n’est pas souvent confronté à ces questions mais quand cela arrive il fait attention à sa réponse : “Si je suis en train de débattre avec quelqu’un et qu’il me demande d’où je viens je n’ai pas vraiment envie de répondre, parce que j’ai le sentiment qu’il veut le savoir pour l’utiliser contre moi et me coller une étiquette. Mais si quelqu’un pose la question spontanément, je peux répondre sans problème. En fait, je peux être fier de répondre que je suis syrien pour sortir des clichés, de montrer que je fais quelque chose de bien. Pourtant, je ne comprends pas pourquoi on me pose la question. Je fais ce que je fais parce que je suis Wael et non pas parce que je suis syrien, palestinien, français, allemand … Peu importe!”

Après 18 ans passés en Allemagne, Audrey ne supporte plus qu’on lui pose cette question dès qu’on entend son accent français. La question suivante est souvent : “Pourquoi es-tu venue en Allemagne?” Et c’est une question qui implique une réponse trop personnelle.

*

Après avoir écouté chacune de ces personnes, je m’aperçois que nos têtes ne sont pas les seules mises en cause. Il est peut-être plus facile de fonctionner avec des schémas pré-construits que d’essayer d’écouter, de comprendre et de connaitre la personne qui nous fait face.

Dans un monde fait de frontières et de limites, c’est une obligation d’affirmer notre place dans la société, elle doit être précisément définie et encadrée. Si, par malchance, nous n’arrivons pas à énoncer clairement une identité, d’autres s’en chargent grâce à des grilles culturelles bien éprouvées.

“Je me sens libanaise et française. Pour autant, ce ne sont pas des choses qui se superposent mais qui créent une nouvelle identité.” Cette phrase d’Angela illustre bien notre propre difficulté à nous “caser” et à nous définir suivant un critère unique.

Le rapport que l’on entretient avec notre propre identité est souvent complexe et vacille entre une réalité juridique, notre héritage familial, et des préjugés qui nous enferment dans des identités prédéfinies et assignées.

Peut-être pourrions nous faire preuve d’originalité et commencer à réfléchir à une manière différente de nous aborder les un.e.s les autres?

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