Une histoire de passeport…

Quand les frontières rattrapent le projet migration et médias

J’arrive à Berlin depuis Paris le 21 juillet 2018 pour participer au projet « Une autre perspective, écrire sur l’exil et la migration ». Cette formation internationale sur les questions de migrations organisée en trois sessions entre Berlin en Allemagne, Zahlé au Liban et Lyon en France, résonne avec mes engagements associatifs et mes projets de recherche. J’étais très enthousiaste à l’idée de pouvoir échanger des idées, des connaissances et des expériences avec des jeunes d’origines différentes, et de produire un travail journalistique.

Avec mon passeport français, je n’avais pas d‘inquiétudes majeures concernant la possibilité de voyager librement dans les différents pays. A Berlin, je ne me suis pas vraiment interrogé sur les difficultés que les autres participants ont pu rencontrer pour venir. Mais un mois plus tard à Zahlé, je me suis rendu compte que certains camarades ne sont pas là. Je m’intéresse alors à la problématique des déplacements au sein de notre groupe et je décide de discuter cinq participants sur les questions de visa et les difficultés éventuelles qu’ils ont rencontré pour se déplacer.

Ghadir

  • Nationalité : Libanaise
  • Trajet : Beyrouth – Berlin
  • Profession : Journaliste
  • Frais liés au visa : 150 dollars US
  • Temps total pour obtenir le visa : 2 mois
  • Durée du visa : 6 mois

« Deux mois d’attente c’est long et stressant », observe Ghadir qui a dû présenter 12 documents pour obtenir le visa Schengen auprès de l’ambassade allemande. Elle a fourni entre autres un certificat précisant le nombre de membres de sa famille, une attestation signée par le maire de son village, la réservation de la Gaeste Etage (notre hébergement à Berlin), une lettre d’invitation du Bapob (l’association allemande du projet), un certificat de travail et un relevé d’identité bancaire. Ne possédant pas ce dernier document, elle se procure celui de son père. Elle doit ensuite faire traduire tous les papiers en allemand par une agence.

Comme l’ambassade d’Allemagne ne délivre plus les visas directement, elle a dû réserver un rendez-vous sur le site internet du VFS (Visa Facilitation Services), la compagnie privée qui sous-traite les demandes de visas pour l’ambassade. Au bout d’un mois d’attente elle réussit enfin à trouver un créneau libre.

Arrivée à l’heure à son rendez-vous, elle patiente encore pendant 5 heures avant de rencontrer un employé du VFS. Elle est alors questionnée sur les raisons qui la poussent à venir Berlin, la crédibilité du motif de son voyage. « Il voulait savoir si je venais pour être réfugiée, si je voulais vivre en Allemagne, c’était effrayant et oppressant », se rappelle-t-elle.

Le centre transmet alors son passeport à l’ambassade, et Ghadir doit revenir trois semaines plus tard pour connaître la réponse. Son passeport lui est rendu avec un visa Schengen de 6 mois. « Je pense que c’est injuste que j’aie un visa de 6 mois et d’autres non », conclut la jeune journaliste qui, contrairement à d’autres participants de l’atelier, n’a pas eu à déposer une nouvelle demande de visa auprès de l’ambassade de France.

Capucine

  • Nationalité : Française
  • Trajet : Nantes – Berlin; Nantes – Beyrouth
  • Activité : Journaliste bénévole
  • Frais liés au visa : Aucun
  • Temps total pour obtenir le visa : Aucun
  • Durée du visa : 2 mois

Pour venir à Berlin, elle prend un bus de Nantes jusqu’à Paris puis un autre pour rejoindre Berlin. Etant citoyenne européenne, elle sait qu’elle ne va pas rencontrer de difficultés pour atteindre Berlin, durant tout le trajet et ne passe qu’un seul contrôle policier pour vérifier la validité de ses papiers.

Pour arriver à Beyrouth, elle prend l’avion après avoir réservé son billet trois semaines auparavant. C’est seulement après avoir effectué l’achat qu’elle se demande si un visa est obligatoire pour séjourner au Liban. « Je pensais que c’était assez simple de rentrer à Beyrouth, j’ai regardé sur internet et j’ai vu qu’il fallait environ une semaine pour faire le visa. Je me suis dit “ouf” et ensuite une autre participante m’a même confirmé qu’il était possible d’obtenir le visa directement à l’aéroport en arrivant. »

Dans l’avion, elle remplit une fiche d’information pour les autorités libanaises qu’elle donne ensuite avec son passeport au garde-frontière à l’aéroport. « Mon contrôle de passeport n’a duré qu’une minute », déclare-t-elle, consciente que toutes les personnes du groupe n’ont pas les mêmes facilités. « C’est injuste puisque ce qui joue c’est là où tu nais, c’est juste le coup du hasard. Je me sens privilégiée. »

Rayan

  • Nationalité : Palestinienne vivant au Liban
  • Trajet : Beyrouth – Berlin
  • Activité : Journaliste
  • Frais liés au visa : 355 dollars US (procédures italienne et allemande)
  • Temps total pour obtenir le visa : 3 mois

Rayan détient le statut de réfugiée palestinienne. Même si elle est née au Liban, elle possède uniquement une carte de résidence et pour voyager, le wasika, un substitut de passeport pour les réfugiés palestiniens au Liban qui coûte 600 dollars US, contre 40 dollars pour un passeport libanais, et n’est valable que pour deux ans. Avant de se rendre à Berlin, elle dépose une demande de visa auprès l’ambassade italienne pour filmer une équipe de basket palestinienne du camp de Chatila qui joue là-bas pour une compétition internationale en juin. Elle espère alors obtenir un visa de 3 mois, lui donnant accès à tout l’espace Schengen, ce qui lui permettrait de se rendre facilement à la session de Berlin en juillet.

Pour cette première démarche effectuée aussi auprès de VFS, elle doit collecter les mêmes documents que Ghadir et les faire traduire par une agence. Elle fournit notamment un document garantissant qu’une personne de son entourage peut mettre à sa disposition 5.000 dollars US pour pouvoir retourner au Liban en cas de besoin. Elle doit aussi justifier qu’elle a un emploi stable, or, la législation libanaise ne l’autorise à travailler que sous des conditions très restreintes. Elle doit prouver que son père possède également un emploi stable et gagne suffisamment d’argent. Étant lui aussi réfugié palestinien, les mêmes obstacles réapparaissent.

Elle attend aussi un mois pour décrocher un rendez-vous auprès du VFS. Pour pouvoir avoir un visa plus long, elle fournit lors de son rendez-vous, en plus de l’invitation du ministère italien de la jeunesse et des sports, celle du Bapob. Mais le prestataire la refuse et, au final, l’ambassade italienne lui délivre seulement un visa de 15 jours couvrant la durée de la compétition et ne lui permettant pas d’aller dans d’autres pays de l’espace Schengen.

Elle recommence donc la même procédure après ce refus et collecte tous les documents nécessaires pour tenter d’obtenir un nouveau visa auprès de l’ambassade allemande pour venir à Berlin. Mais le temps est compté et son wasika est toujours à l’ambassade italienne. En l’absence de ce document, le VFS lui refuse l’entrée dans son bâtiment pour effectuer une nouvelle demande.

« Je vais tout faire pour venir à Lyon », lance-t-elle, loin de se décourager, lors de notre deuxième atelier au Liban. Finalement, après avoir recommencé une nouvelle fois les mêmes démarches, elle obtient le visa français quelques jours avant le début de l’atelier et rejoint le reste du groupe.

Micha

  • Nationalité : Allemand
  • Trajet : Munich – Beyrouth
  • Activité : Étudiant
  • Frais liés au visa : Aucun
  • Temps total pour obtenir le visa : Aucun
  • Durée du visa : 1 mois

Pour se rendre à Beyrouth il a réservé son billet d’avion Munich Beyrouth, et contrôlé la durée de validité de son passeport. Arrivé au Liban il a obtenu facilement son visa à l’aéroport, et aucune question ne lui a été posée par le douanier. « Je n’avais aucun doute sur le fait de pouvoir entrer » confie-t-il, conscient d’être privilégié par rapport à d’autres participants: « Il n’y a aucune justification crédible pour expliquer le refus des visas, la libre-circulation exclut certains et invite d’autres, ce qui représente une hiérarchisation des citoyens à l’échelle globale. »

Wael

  • Nationalité : Palestinien-Syrien vivant en Allemagne
  • Trajet : Berlin – Beyrouth
  • Activité : Étudiant
  • Frais liés au visa : 45 dollars US
  • Temps total de la procédure : 3 mois

Wael est membre de l’association allemande Bapob, et il est un des formateurs de l’atelier. Il a tenté de se rendre à Zahlé pour la deuxième session mais il était conscient qu’il allait rencontrer des difficultés pour obtenir un visa libanais en raison de son statut d’apatride, étant né dans une famille palestinienne exilée en Syrie.

Il a vécu au Liban pendant près d’un an et demi, mais en raison des réformes du gouvernements libanais concernant les Palestiniens et les Syriens, il ne peut plus entrer au Liban sans visa.

Il tente donc d’abord de déposer une demande de visa auprès de l’ambassade libanaise à Berlin. Il doit apporter son document de voyage allemand et son ancien document de voyage syrien pour les réfugiés palestiniens. Il doit aussi prouver qu’il était entré légalement sur le sol libanais lorsqu’il résidait à Beyrouth, fournir une photo d’identité, une assurance et une lettre d’invitation incluant la raison du voyage. Avec cela il doit remplir un formulaire et payer 45 dollars (40 euros) de frais de visa.

Il va à l’ambassade avec tous ces documents, mais les agents lui expliquent directement : « Quand vous demandez un visa ici, vous le recevrez après 3 mois minimum en tant que Palestinien. C’est mieux d’avoir une invitation d’une organisation libanaise de Beyrouth pour être en mesure d’avoir un visa en moins d’un mois. »

L’équipe du projet décide alors de poursuivre les démarches au Liban, auprès de la Direction de la Sûreté Générale, l’administration en charge de l’immigration. Mais, comme l’association Mashallah News, le partenaire local, n’est pas enregistrée au Liban, il s’avère impossible d’obtenir une lettre officielle d’invitation. Les membres de Mashallah essayent sans succès de demander à des amis d’autres ONG de faire cette invitation. Wael ne peut donc finalement pas nous rejoindre au Liban.

« C’est injuste, suis-je vraiment en train de menacer le Liban ? », réagit-il face à cette impossibilité de voyager. « La seule différence entre mes camarades et moi est que mon grand-père a décidé que sa famille devait partir de Palestine et aller en Syrie. »

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