Se former en exil

L'expérience de l'ONG Women Now for Development au Liban

Peinture dans le couloir de l’ONG Women Now. Crédits : Timon Koch

Plusieurs familles de réfugiés se sont installées dans la petite ville libanaise de Majdal Anjar. Située dans la plaine de la Bekaa, cette localité se situe à seulement 57 kilomètres de Damas. Le Liban est l’un des pays accueillant le plus de réfugiés au monde selon un rapport d’Amnesty International datant de 2016. D’après l’ONU, ils sont plus d’un million, ce qui représente près d’un tiers de la population au Liban. En 2012, un an après le début de la guerre  en Syrie, l’écrivaine féministe  Samar Yazbek, originaire de la région de Lattaquié, y a fondé l’association Women Now for Development, offrant des cours gratuits aux femmes, notamment aux réfugiées. Il existe cinq centres en Syrie et deux au Liban.

« La mission principale de cette ONG est l’autonomisation des femmes, dans tous les aspects de leur vie sociale »,  affirme madame Annani.

Les activités de Women Now se déroulent dans un appartement très lumineux, dont le couloir présente d’ailleurs plusieurs peintures inspirées par le concept de sororité, une sorte de fraternité féminine, prônant la solidarité entre femmes.

Dans la bibliothèque, plusieurs livres sont disponibles. « De la littérature arabe, de la littérature étrangère, de la psychologie et du féminisme, bien sûr ! »,  énumère la professeure d’anglais, la voix enjouée, avant de poursuivre : « le féminisme est très important pour nous. Nous souhaitons que les femmes syriennes puissent se sentir capables de convaincre autrui ».

C’est pour cette raison que l’ONG organise des ateliers sur les droits des femmes, inspirés par le programme des Nations Unies pour les femmes. « Les femmes ont des croyances politiques, mais comment peuvent-elles les partager et convaincre ceux qui les écoutent ? », se demande l’enseignante. Elle les initie donc à des compétences capitales : la négociation et la communication. L’objectif est de tirer des enseignements de la vie de femmes puissantes, venant du monde entier, afin que leur exemple inspire les réfugiées pour réussir. Cela pourra leur servir à leur retour en Syrie et elles pourront également enseigner ce qu’elles ont appris à leurs compatriotes.

« Le seul aspect positif de la guerre, si je puis dire, c’est le fait que les femmes soient plus conscientes des enjeux politiques. La guerre permet un changement dont les femmes peuvent bénéficier. »

Elle poursuit, avec beaucoup de conviction : « L’éducation est la clé, elle est fondamentale ». Pour cela, l’enseignement de l’anglais et de l’informatique, permettant plus d’opportunités professionnelles, sont prioritaires. L’équipe organise aussi des ateliers de « conscience politique », afin de combattre l’ignorance de la situation politique syrienne,  notamment de la part des  femmes syriennes. Elles discutent de plusieurs grands concepts, tels que la démocratie, les droits des femmes,  la citoyenneté, les différents types de régimes politiques, la société civile et la justice transitionnelle… Il existe également des cours de stylisme, de coiffure et de couture.

Les étudiantes ont aussi à leur disposition une psychologue et une baby-sitter, afin que leur maternité ne soit pas un frein à leur apprentissage. Mahaba, 23 ans, s’occupe dans une pièce des enfants des femmes qui participent aux formations. Son visage est rayonnant et doux. « Mon prénom signifie amour, précise-t-elle, il englobe toutes les formes d’affection, qu’elles soient amicales, fraternelles ou conjugales ». Elle affirme être passée « d’un monde à un autre », grâce à la découverte de ce centre. Avant  elle vivait isolée et restait toujours à la maison, en présence de ses parents et de ses enfants. En étudiant, elle a pu rejoindre l’équipe, ce qui lui permet de subvenir aux besoins de sa famille. Son époux se trouve en Allemagne, à la recherche de meilleures opportunités professionnelles.

« Allah y ahtikoum lhafia » (bon courage en dialecte libanais), lance avec enthousiasme dans une salle de classe l’une des bénéficiaires à ses camarades avant un examen d’informatique. Les femmes qui viennent au centre font face à un contexte très difficile. 70 % d’entre-elles sont réfugiées. Vingt-six Syriennes sont employées par l’ONG ainsi que vingt autres personnes qui travaillent sur le terrain dans les camps.

« Les gens d’ici savent que les Syriens sont présents et ils sont plutôt accueillants », nous explique également Madame Annani. Les Libanais et les Syriens vivent dans une relative harmonie. Pourtant, un grand écart les sépare concernant leurs chances d’intégrer le marché de l’emploi. Les ONGs locales permettent d’acquérir une certaine éducation, mais les réfugiés subissent tout de même des discriminations. Leurs salaires sont très inférieurs à ceux des Libanais. Ils ont peu d’opportunités professionnelles. Depuis fin 2014, le gouvernement libanais a restreint les possibilités légales de travailler pour les réfugiés. Environ 70 % de ces derniers vivaient en 2015 en-dessous du seuil de  pauvreté, soit avec moins de 3.84 dollars par jour selon l’ONU.

Malgré leurs parcours difficiles, toutes ces femmes restent très solidaires entre elles. Elles s’encouragent et rient beaucoup. Ce centre leur permet d’échapper, ne serait-ce que durant quelques heures de la journée, à leurs difficultés quotidiennes.

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