Politique migratoire : l’idéal macronien confronté au réel

Laure Chebbah: « L’intégration des étrangers se distingue de la politique d’accueil »

Des jugements et des préjugés, des dits et des non-dits, des certitudes et des doutes, autant de controverses prolifèrent autour de la politique migratoire en France. Les débats actuels se nourrissent du projet de loi « immigration-asile » qui occupe le devant de la scène publique du pays, mais aussi ailleurs.

En effet, des Libanais intéressés par la politique française que nous avons interrogés se divisent en deux opinions opposées. Une majorité considère la France comme étant toujours « La patrie des droits de l’homme », qui préserve sa clémence à l’égard des immigrés, en particulier des musulmans de l’étranger « malgré les attentats terroristes qui ont eu lieu à Paris ». D’autres Libanais rejoignent ce « feu des critiques » ciblant le président Emmanuel Macron qui envisage le durcissement des procédures d’immigration.

Délai de traitement de demandes et défis de la langue

Au moment où les associations humanitaires, la gauche et leurs partisans protestent contre la future loi refondée par Macron, une autre opinion considère que le président français est en train d’organiser l’immigration dans un souci « de justice et d’efficacité » grâce à des délais plus courts accordés à l’examen des demandes d’asile.

Laure Chebbah Malicet, enseignante à Sciences Po Lyon, docteure en science politique est spécialiste des politiques publiques de l’immigration en France. Selon elle, ce raccourcissement des délais implique « moins de temps mais moins de qualité de traitement de dossiers ». Elle explique qu’ « en diminuant le délai d’un an à 21 jours, on diminue ainsi le temps pour les gens d’être en capacité de raconter ce qui leur est arrivé, et cela se fait au détriment de la qualité de l’instruction ».

Les demandeurs d’asile se heurtent souvent à la difficulté de trouver un interprète « digne de ce nom », selon Dr. Malicet qui fait allusion à la faiblesse du système d’interprétariat public. En pratique, « la demande d’asile exige au moins 10 à 15 heures passées avec une personne pour qu’elle puisse donner le récit attendu à l’Ofpra (Office Français de Protection des Réfugiés et Apatrides). Par conséquent, des milliers de récits se produisent d’une manière inexacte car on n’a pas accédé au bon interprète ». Celui-ci est souvent remplacé par des proches ou par des gens de l’entourage et parfois même par des mineurs qui maîtrisent mieux le français que leurs parents et traduisent ce qu’ils ont envie de dire.

S’appuyant sur son engagement auprès des demandeurs d’asile dans le département du Rhône, Laure Chebbah apporte de nouveaux éclairages du terrain : « si ce raccourcissement se fait en faveur des gens, on mettra plus de moyens pour rendre cette procédure faisable ». Ces « bonnes » intentions se traduiraient alors en multipliant des structures capables d’accompagner les demandeurs d’asile, ce qui n’est toujours pas initié. « A titre d’exemple, il y a sur le Rhône une seule association qui aménage ces demandes d’asile et la domiciliation des demandeurs », affirme-t-elle.

Vue de haut, ou de loin, la mesure de raccourcissement paraîtra parfaite. Mais sur le terrain, c’est différent. Selon l’experte, « il faut surtout remettre de la qualité dans la procédure. Cette accélération se fait au détriment de la qualité » et donc de la justesse du traitement des dossiers.

Malgré tous les aspects défavorables de la situation des étrangers en France, ce pays continue à être la terre d’accueil préférée de nombreux Libanais.

De surcroît, en France, les cours de langue sont uniquement offerts aux refugiés dont la demande d’asile a été acceptée, ceux qui ont déjà régularisé leur séjour. Alors qu’en Allemagne, tout migrant commence à apprendre la langue pendant le traitement de son dossier. Laure Chebbah explique le contexte : « en France, il faut attendre son tour dans des plateformes d’apprentissage locales établies par l’Etat et qui présente des services moins chers que ceux de l’ancien système ». Ainsi dix-huit mois ou deux ans peuvent s’écouler avant d’apprendre la langue du pays. Pendant tout ce temps-là, les demandeurs d’asile sont exclus de la vie sociale.

Hébergement et santé : droits restrictifs

Le système d’accueil des demandeurs restreint l’autonomie des familles. Madame Chebbah parle de « l’infantilisation » de ces familles qui, auparavant, étaient accueillies dans des apparhotels et inscrivaient leurs enfants dans les écoles voisines. Désormais, toujours dans un souci d’économie, ces familles sont expulsées hors de Lyon, pour vivre dans des conditions plus contraignantes : une cuisine collective, une chambre arbitrant parents et enfants, un long trajet pour arriver aux écoles et aux marchés « par conséquent, la vie quotidienne devient plus compliquée, la vie de couple perd son intimité et l’enfant qui arrive dans un camion ou un bateau, ensuite baladé à droite et à gauche développe à l’adolescence des réactions violentes », enchaîne-t-elle. En plus des futures répercussions sociales, ces mesures d’hébergement s’avèrent plus coûteuses sur le plan économique. Laure Chebbah poursuit : « la politique publique doit reconsidérer « les coûts évitées » qu’assure un meilleur hébergement ».

Pour l’instant, les étrangers avec ou sans papiers ont un accès minimum à la santé, « mais cela fait plusieurs années que des députés veulent supprimer l’aide médicale fournie par l’Etat pour les sans-papiers » indique la spécialiste des politiques publiques de l’immigration en France. Ce droit-là risque donc de ne plus se maintenir.

Politique migratoire de Macron et changement de positions

Des députés de la REM affichent une critique virulente du nouveau projet de loi. Une fronde au sein des Républicains ? On peut le supposer. Les opinions libanaises se divisent entre défenseurs du président français « droit dans ses bottes », et d’autres qui soupçonnent une transformation de la position macronienne à l’égard des étrangers.

Pour une lecture rigoureuse de ces développements, Laure Malicet indique la nécessité de faire la distinction entre l’intégration des étrangers d’une part, et la politique migratoire d’autre part. « L’intégration des étrangers est liée à la question de l’islam en France. Je pense que Macron est resté sur la ligne qui était la sienne ». La semaine dernière, en effet, le chef de l’Etat a présenté ses vœux aux représentants religieux «  Macron est trop laxiste sur cette question. Il continue d’avoir un discours ouvert et de parler de « laïc radical », alors qu’hier, par exemple, l’écrivaine Caroline Fourest a réclamé qu’on s’occupe plutôt de religieux radicaux », poursuit Madame Malicet. « On dirait que, par rapport à d’autres responsables politiques, notamment ceux qui l’ont précédé, il n’est pas en train d’allumer le feu sur la braise », précise-t-elle.

Pour autant, Laure Chebbah juge que le débat actuel est positif : « cela fait 15 ans que l’on n’a pas débattu des politiques d’immigration. On les subit seulement. On les construit sur des consensus politiques ». Comme il n’y a pas d’idéologie particulière qui sous-tend cette loi, « mais plutôt des impératifs pragmatiques, on a peut-être la possibilité d’introduire des éléments plus favorables » prédit-elle. « A priori, on prévoit des mesures plus favorables aux étudiants immigrants ».

La France-mère patrie, toujours vivante ?

Malgré tous les aspects défavorables de la situation des étrangers en France, ce pays continue à être la terre d’accueil préférée de nombreux Libanais, «  la mère nourricière du Liban », et une mère ne déçoit pas ses fils…

Cette perception s’explique notamment par le système scolaire libanais. À ce sujet, « les images sont toujours longues à changer », pense Laure Chebbah. « Il s’agit d’un modèle idéaliste qu’on véhicule à travers l’apprentissage du français au Liban, mais un écart sensible existe entre la théorie et la réalité des choses ». C’est un peu du « soft power » qui continue d’être vendu par la France. «  Je crois que c’est le cas de beaucoup de pays, comme les Etats-Unis qui se prennent pour la patrie du « Melting Pot » mais la réalité discrédite ce slogan », affirme-t-elle.

Si « la France a perdu du terrain en Afrique francophone, et au Maghreb et que les fils se sont détendus avec la Syrie bien avant, elle préserve une relation particulière avec le Liban, son fils quasi-naturel, à cause du caractère multiconfessionnel de ce pays. Le Liban fait exception aussi parce que la France a établi ces liens étroits depuis le 19ème siècle dans sa décision de protéger les chrétiens de l’Orient ». Dernièrement, cette politique de protection s’est révélée dans le soutien qu’Emmanuel Macron a offert à Saad Hariri, dans une tentative de désamorcer une crise qui guettait le Liban,

Experte de l’histoire de l’immigration en France, Laure Chebbah trouve qu’on parle trop de cette question « alors qu’il y a moins de migrants aujourd’hui que dans les années 50 ou 60. Pendant ces années, on allait chercher les migrants parce qu’il y avait un besoin économique qui se justifiait par la fin de la seconde guerre mondiale. En ce sens, l’historien Gérard Noiriel assure que la France n’a jamais été une terre d’accueil, et que même pendant la Révolution, elle n’a accueilli que des refugiés qui représentaient un intérêt économique », conclut-elle.

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