Les graines de la Bekaa

Le village de Deïr Taanayel.

Il y a trois ans, après avoir fait le tour de la Méditerranée, Ferdinand et sa soeur Zoé arrivent au Liban à vélo. La guerre est déjà présente en Syrie et l’arrivée de Daesh à Mossoul les empêche de continuer plus loin. Au Liban, ils se confrontent à la présence massive de réfugiés sur ce petit territoire. Un habitant sur quatre est réfugié, c’est la plus forte proportion pour un pays dans le monde entier. En mars 2017, d’après la commission européenne, le Liban comptait plus d’un million de réfugiés syriens.

Tous deux militants engagés en faveur de l’écologie et de l’aide au développement, ils choisissent alors de consacrer leur énergie à des projets agricoles indépendants permettant d’aider les réfugiés tels la création d’une ferme-école et de potagers dans les camps.

Ils souhaitent notamment pouvoir partager leur savoir-faire sur la reproduction des semences : une technique ancestrale qui tend à disparaitre avec l’industrialisation de l’agriculture. 80% des variétés paysannes ont disparu en à peine cent ans à cause de la mainmise des multinationales et des Etats sur la reproduction des semences et leur commercialisation. La diffusion des semences hybrides est aussi problématique car les paysans ne peuvent pas les ressemer après la récolte.

Zoé et Ferdinand habitent provisoirement une petite maison à Deïr Taanayel, dans la plaine de la Bekaa, juste en face des petites montagnes qui marquent la frontière avec la Syrie. Ils sont un peu à l’écart de la principale route qui reliant Beyrouth à Damas.

C’est sur ce terrain qu’ils ont installé une petite serre leur permettant de faire pousser leurs graines. Cet après-midi, assis sur des tapis autour d’un bon thé, Ferdinand répond à nos questions pendant que Zoé et son amie Cécile s’occupent des semences.

Comment est né cet engagement pour la cause syrienne?  

Je pense que cela a commencé avec notre cheminement personnel et notre engagement politique. Puis il y a eu la révolution syrienne et même si chaque Syrien n’y a pas participé, tu peux sentir qu’ils ont eu beaucoup d’espoir.

“Nos projets d’aide sont basés sur l’échange. Tous les Syriens qu’on côtoie souhaitent rentrer et transmettre plein de choses.”

Les conséquences sont terribles, mais il y a quand même eu cet appel à la liberté, à l’évolution, à la dignité, cette envie de se construire autrement qui nous a beaucoup touchés. Il y a une flamme, et je ne sais pas comment dire, une cicatrice. Je crois que c’est ça qui nous a donné l’envie et la force de nous investir auprès d’eux, de les écouter et de nous découvrir les uns les autres.

Ferdinand et sa petite serre.

C’est la raison pour laquelle vous avez démarré ces projets. Pouvez-vous nous en dire plus? 

Nos projets d’aide sont basés sur l’échange. Tous les Syriens qu’on côtoie souhaitent rentrer et transmettre plein de choses. On fait du compost (mélange de matières végétales et organiques utilisé comme engrais, ndlr.) ensemble, ils découvrent des techniques un peu différentes des leurs. On apprend énormément de choses les uns avec les autres.

Avec l’ONG Sawa for development and aid on construit une ferme-école à l’attention des étudiants libanais en agronomie et des travailleurs agricoles syriens. C’est un projet social qui sera mis en place dans la vallée de la Bekaa à Saad Nayel où de nombreux camps de réfugiés se sont installés ces cinq dernières années.

Par le biais de la ferme-école, Ferdinand et Zoé espèrent générer des revenus pour les réfugiés – qui travaillent généralement comme ouvrier journalier pour quinze dollars la journée – avec la mise en place d’une structure de production soutenable qui permettrait de leur assurer une certaine stabilité professionnelle.

L’offre de formation pourrait aussi favoriser l’intégration des réfugiés en facilitant la mise en relation entre les réfugiés syriens et les agriculteurs libanais. En règle générale, une ferme emploie un à deux travailleurs syriens. Si le propriétaire est honnête, il met à disposition des ouvriers un espace de vie et leur permet d’obtenir des papiers.

Comment voyez-vous l’avenir concernant ce projet avec SAWA ?

On a une fenêtre d’échanges directs avec les Syriens, qui se refermera peut-être si un jour le régime se remet en place. Tout sera alors de nouveau cloisonné. On est dans une période où on a des échanges possibles, on peut partager des choses, des savoir-faire, des graines… en espérant que chacun gardera quelque chose de cet échange et l’utilisera tout au long sa vie, que chaque formation restera en chaque personne et que cette démarche contribuera à la reconstruction à venir.

On espère aussi que la ferme permettra de pouvoir produire des plantes et des graines pour les distribuer gratuitement dans les camps de réfugiés aux Syriens qui font du jardinage. Ainsi, l’accès aux semences ne sera plus un frein à la volonté de cultiver.

“Ces jardins jouent plus un rôle ludique, pédagogique, de bien-être et d’esthétique que celui d’un apport alimentaire supplémentaire.”

Cécile fait des semences.

Travaillez-vous sur d’autres projets ?

En parallèle, on accompagne depuis l’année dernière l’association Soils permaculture dans un projet visant à créer des jardins dans des camps.

Ces jardins jouent plus un rôle ludique, pédagogique, de bien-être et d’esthétique que celui d’un apport alimentaire supplémentaire. L’intérêt est de mettre de la vie autour des tentes où vivent des gens qui étaient actifs, qui travaillaient, qui ont dû tout quitter et qui sont aujourd’hui pour la plupart choqués. Faire un jardin, faire pousser une plante, pour un enfant, pour un adulte ou pour une grand-mère, c’est refaire ces gestes qu’ils faisaient chez eux, c’est voir la plante pousser, fleurir et puis la récolter. Tout cela peut aider à rendre le quotidien un peu plus joli. Je pense qu’on devrait cultiver beaucoup plus de fleurs dans les camps.

Quelles contraintes avez-vous rencontrées dans la mise en place de ces projets? 

Quand on a fait les jardins dans les camps, on s’est rendu compte qu’ils n’avaient pas le droit de planter en pleine terre sans une autorisation du propriétaire. Donc, les jardins sont montés sur des palettes en bois. Il est aussi interdit d’avoir des poules ou d’autres animaux.

Il y a beaucoup d’autres choses compliquées. On lutte un peu contre le système assez opaque, compliqué et bureaucratique des associations humanitaires de développement qui a ses propres objectifs qui ne sont pas forcément ceux des populations locales. Cela nous demande aussi une transformation de notre manière de travailler.

Après, il y a d’autres contraintes qui sont locales, spécifiques à la Bekaa. L’ambiance locale entre les Libanais et les Syriens, l’ambiance un peu mafieuse, sécuritaire, la précarité des populations … Tout est fait pour qu’ils ne puissent pas s’intégrer.

Au cours de ces trois dernières années de nombreux épisodes de violence ont éclaté dans la Bekaa, ayant conduit à l’adoption de politiques plus restrictives, cristallisant les tensions entre Libanais et réfugiés syriens.

Note: Depuis le mois d’avril 2017, les projets de Zoé et Ferdinand se sont concrétisés, notamment la ferme-école. 

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